Moi Président

Publié le par Roger Pleers

Moi Président

 

 

Prologue:

A vous, je peux bien dire la vérité ! Je venais juste de terminer de lire mon exposé devant ce parterre d’initiés et je vous avoue que ce fut une réelle performance de ma part car, face à une telle assemblée, je me sentais comme un goujon égaré au milieu de brochets affamés. Les applaudissements qui m’accompagnèrent lorsque je quittai la tribune me parurent relever surtout d’une forme de courtoisie. Je ne me faisais guère d’illusions, je n’étais ni le seul intervenant et certainement pas le meilleur mais, quitte à égratigner ma modestie, j’avais donné le meilleur de moi-même. Pour une fois que j’avais eu le privilège de me mesurer à d’autres orateurs, j’avais essayé de me dépasser. Et donc, au moment de prendre congé de l’assistance –car je n’avais à aucun moment envisagé que l’on m’accordât plus qu’un simple capital de sympathie- l’une des éminentes personnalités qui m’avait écouté me retint et me fit  cette proposition irréelle, incroyable, inattendue…

Premier tableau :

-« Moi ? Président ? Vous voulez rire ? »

- « Rire? » et il ajusta sa cravate. « Dans ma fonction qui, je l’espère, sera aussi bientôt la vôtre, on ne peut pas se le permettre. C’est même tout-à-fait contre-indiqué. Le sérieux est une règle obligée. Ceux à qui nous nous adressons ne nous le pardonneraient pas et la sanction serait immédiate.  Croyez-moi, mon cher ami ! Vous êtes juste la personne qu’il nous faut ! »

 

Je me retournai pour vérifier qu’il ne s’adressait pas à un quidam derrière moi.

« -Mais…je n’ai absolument aucune compétence pour occuper le poste. J’ai peur de la foule… Voyez dans quel état je suis après m’être adressé à vous.

- N’ayez crainte, me dit-il, on mettra à votre disposition un sophrologue à temps plein. Vous aurez droit à des séances de relaxation avant chaque intervention.

 -je n’ose pas prendre la parole en public. Là, c’était différent ! Bien sûr il s’agissait que je sois convaincant, mais ce n’était jamais qu’un exercice de style. En réalité, faites-moi confiance, dès que l’on m’interrompra je vais perdre le fil de mon intervention. C’est tellement vrai que même pour demander mon chemin à un passant j’en perds mes moyens. Je bredouille, je m’embrouille, je balbutie, bref je suis ce que l’on pourrait appeler un « mal-parlant » par analogie aux « mal-voyant » si vous voyez ce que je veux dire. »

-Pas grave du tout, me rassura-t-il, songez à Georges VI, le père de l’actuelle reine d’Angleterre qui bégayait épouvantablement, que l’on jugeait incapable d’assumer pleinement son rôle et qui, avec l’aide de son thérapeute, surmonta son handicap. Ce fut un grand roi et vous avez tout pour être un formidable président.

- je suis trop petit, m’esquivai-je, je n’arriverai pas à la hauteur du lutrin…

-Nous avons déjà contacté l’ex chausseur de Nicolas Sarkozy. Il vous préparera du sur-mesure. C’est le fournisseur de nombreux présidentiables. Il s’y connait pour donner de la taille aux orateurs les moins imposants.

-Non ! Je ne pourrai pas ! Le stress me cause des crampes horribles qui martyrisent chacune de mes articulations. C’est psychosomatique…

-Nous disposons dans notre staff de la meilleure masseuse de la région, formée à l’école des temples thaïlandais de Bangkok.

-Je n’ai pas la carrure et…

-Dans notre salle de musculation, notre coach professionnel va vous concocter un programme d’athlète. Au sortir de ses mains, vous pourriez participer à l’élection de « Monsieur Muscle ».

-Et mon boulot ! Je ne peux pas abandonner mon boulot ! De toute façon mon patron ne voudra jamais me libérer…

-Mais si ! D’ailleurs il n’aura pas le choix quand il recevra notre négociateur sicilien qui va lui proposer une option qu’il aura du mal à refuser.

-Et ma famille ? Je dois quand même la mettre au courant. Ma femme me l’interdira sans parler de ma mère qui a déjà failli faire une crise cardiaque à l’époque où je lui avais annoncé que j’avais refusé une promotion comme chef du département. Je lui avais dit qu’il s’agissait de celui de lingerie féminine et que je ne pouvais décemment pas gérer un  stock de sous-vêtements affriolants alors que moi-même j’en étais depuis toujours à ne porter que des slips kangourou. C’était hors de mes compétences. Elle a fini par admettre que j’avais eu raison. En réalité, on me proposait de passer du département « Ventes » à celui des « Réclamations ». Encore si on m’avait mis dans un « Call Center » mais là je devais convaincre physiquement les clientes mécontentes. C’était confier la clé atomique à un leader froussard. 

-Allons donc ! Votre mère a 93 ans et n’est pas éternelle. Un malheureux accident peut très aisément… enfin… malheureusement lui arriver demain. Et votre épouse a peut-être envie, elle, qu’on l’appelle « Madame la Présidente ». Arrêtez de m’opposer des arguments foireux, vous valez mieux que cela et vous en avez fait la démonstration tout à l’heure. D’ailleurs vous ne pouvez pas refuser. Dès l’instant où vous avez fait le choix d’adhérer à notre groupe vous deviez bien vous douter que vous ne pourriez pas évoluer indéfiniment en arrière-plan. Chez nous, personne ne reste jamais très longtemps dans l’ombre. C’est même en quelque sorte notre mode de fonctionnement. Il nous faut faire émerger des personnalités qui puissent promouvoir la philosophie à laquelle nous sommes attachés. Ils sont notre vitrine. Voyez tous vos illustres prédécesseurs ! Admirez de quelle manière ils ont mis nos principes en valeur. Grâce à leurs efforts nous en récoltons le fruit maintenant. Chaque année le nombre d’adhérents à notre mouvement ne fait que croître. Et si vous observez bien, d’autres formations nous ont copiés, partout dans le pays, et même dans tous les coins du monde. N’est-ce pas la preuve que notre voie est la bonne ?

 

Je réfléchis un long moment.

-« Je ne sais pas ! C’est une énorme responsabilité. Suis-je taillé pour transmettre cet héritage ? Aurai-je la capacité d’insuffler aux autres cet enthousiasme ? Ne suis-je pas déjà un  homme du passé ? Serai-je capable de convaincre dans d’autres cercles que celui-ci ? Je n’ai pas d’expérience à l’international. Et puis les compétences ne seraient-elles pas plus évidentes chez d’autres plus aguerris dans cet exercice difficile ? Dans la magistrature, par exemple

-Certainement pas, s’indigna--il ! Un magistrat ? Quel magistrat ? Un juge ? Avec lequel il faudra sans arrêt argumenter et qui trouvera toujours une astuce juridique pour se défiler lorsqu’il faudra se lancer dans l’arène.  Un avocat peut-être ? Vous les connaissez : prêts à tout, capables d’embrasser les causes les moins défendables. Suffisamment madrés au point de faire libérer le loup et emprisonner l’agneau. Tellement prévisibles dans leurs démonstrations que plus personne ne leur accorde de crédit. Non, je vous assure vous avez les qualités pour porter notre message. Nous vous avons observé. Notre système d’évaluation est très au point. Même dans votre modeste premier emploi vous avez démontré à suffisance à quel point vous pouviez vous montrer persuasif. Qui réussit sans faillir à faire accepter à une cliente d’acquérir un bonnet C alors qu’un E la menait déjà aux limites de l’asphyxie ? Nos délégués vous ont  testés à maintes reprises à votre insu. Hier encore, dans cet hôtel où vous dîniez en aimable compagnie, vous étiez espionné. Le rapport est là devant moi. Je vous le lis ? « Le sujet maîtrise à la perfection l’art de la persuasion. Si je n’avais connu ses capacités à l’avance, je n’aurais jamais pu douter un seul instant de ses allégations. De même pour le personnel de l’établissement qui a souscrit à toutes ses demandes y compris d’attendre de le voir revenir payer le repas après m’avoir accompagnée à sa chambre. A l’issue de cette soirée, il est arrivé à ses fins…  etc.. etc… ». Et dites-vous bien que je vous fais grâce de ses considérations les moins délicates quant à son espionnage rapproché.  Et ce n’est qu’un exemple parmi tous les rapports de nos experts. Vous êtes bel et bien la personne que nous recherchions. Vous devez savoir que bien peu détiennent le talent qui est le vôtre. C’est une chose rare que de pouvoir convaincre un public qui ne demande qu’à douter! Oh ! bien sûr nous aurions pu porter notre choix sur de plus grands professionnels, des gens qui pratiquent cet art par tradition familiale. Ne s’improvise pas manipulateur qui veut parce que papa l’était déjà. Mais justement, ceux-là, nous les avons écartés de notre choix. Leur héritage pèse trop lourd. C’est au détriment de leur spontanéité. Vous, si j’ose dire, vous êtes encore vierge. Vous n’avez pas encore abrasé vos capacités à la râpe du pouvoir. Chez vous, pas de cadavres dans un placard. En d’autres termes, vous êtes un pur. A nos yeux, vous êtes l’élu ! »

 

Présenté sous un angle aussi flatteur, je me demandais quand même si le panégyrique de mes supposées compétences ne me semblait pas un peu suspect eu égard au rang qu’il occupait au sein de sa corporation.

 

-« Vous croyez, lui dis-je ? Vous êtes sûr ? N’allez-vous pas les imaginer toutes ces qualités que vous m’attribuez ? Je ne ressens pas votre assurance. Je me demande si quelqu’un issu du monde de la finance ne serait pas plus indiqué.»

 

Là, il eut comme sorte de hoquet, presque de la répulsion.

-« Quoi ? Un banquier ? Mais vous n’y songez pas ! Qui peut encore leur accorder un sou de confiance. Seuls les naïfs croient encore ce qu’ils leur promettent. Le seul avantage que nous aurions en faisant un tel choix serait de ne plus nous commettre en vaines querelles avec notre trésorier. Et pourquoi pas un trader tant que vous y êtes ? Un Trader !... Tiens je nous vois déjà l’écoutant conseiller à nos membres des placements sans risques dans des titres à haut rendement garanti. Un Trader… Vous voulez que nous nous retrouvions un jour sous la coupe d’un investisseur chinois ? Et puis quoi encore ? Une délocalisation peut-être ? »

 

Je n’avais pas vu la chose sous cet aspect et je pouvais comprendre ses réticences.

- « Et un haut fonctionnaire ! C’est taillé pour cela un haut fonctionnaire ?

-En voilà une excellente idée, ricana-t-il. Un haut fonctionnaire, bien sûr. Comment n’y avions-nous pas pensé. Vous êtes prêt à lui fournir en 5 exemplaires A4, caractère « Times New Roman », le synopsis des interventions de ses prédécesseurs afin qu’il les étudie dans un bureau climatisé au 4e étage d’un immeuble de son administration puis, qu’après avoir compris la logique à appliquer, il convoque son staff pour un brain storming/café/speculoos dont il ressortira que l’on devrait confier à un porte-parole le soin d’exposer les faits tout en restant suffisamment éloigné de toute controverse en dissimulant les détails les plus scabreux. Mesdames, messieurs un communiqué de presse suivra, etc, etc… Pardonnez-moi mais rien que l’idée me coupe le souffle.

Comment dois-je vous faire comprendre que nous avons besoin d’une personne qui incarne notre idéal ? Et pas un technocrate qui le traduira en abscisse et ordonnée ».

Je ne m’avouai pas vaincu par ses arguments.

-« Un membre du corps médical peut-être ? Il y a eu des exemples fameux. Voyez avec quel aplomb ils arrivent à endormir les angoisses de leurs patients les plus hypocondriaques ».

Mon contradicteur s’étouffa presque de rire .

-« Ha ! Un médecin… président ? Un dentiste peut-être ? Je me vois d’ici l’annoncer à l’assemblée : Chers amis, chers collègues, chers affiliés, notre nouveau président est un arracheur de dents. Vous voulez me faire défenestrer ma parole ? »

Je jouai alors une carte qu’il n’appréhendait pas.

-« Attendez ! J’ai une idée ! Cette fois vous ne pourrez rien y trouver à redire. Et si… suivez-moi bien… si en lieu et place d’UN président vous choisissiez UNE présidente. Une femme quoi.

 

Vous ne dites rien ? Ahaahhhh ! Vous n’avez pas d’arguments contradictoires cette fois ».

Il poussa un soupir exaspéré en se pinçant nerveusement les paupières

-« Une femme… Présidente… Là, je vous concède que nous touchons au sublime. Vous vous surpassez dans l’absurde. Il est vrai que l’alternance est assez au goût du jour. Et puis dans le cadre de nos activités on peut certes reconnaître que nos homologues féminines disposent des meilleures compétences. Elles ont une longue pratique de la chose. C’est quasiment inscrit dans leurs gènes. Leur ADN les a programmées à cela. Même au meilleur de notre forme nous avons les plus grandes difficultés à nous hisser à leur niveau. Mais voulez-vous nous faire prendre ce risque ?  Une femme Présidente, c’est bientôt aussi par copinage une femme secrétaire, puis une femme trésorière. A quand une femme porte-parole, encore que cela semble un peu partout la tendance ? Dans un an, la sécession nous guette. Dans deux ans, la guerre des clans aura fait fondre de moitié nos effectifs. Dans cinq, on déterrera des rumeurs de harcèlement. Dans dix, nous serons sacrifiés sur l’autel d’une fusion avec un groupe d’agitées féministes. Est-ce cela que vous voulez ? »

J’avais quasiment rendu les armes cette fois.

-« Alors quoi ? Aucun autre candidat ne vous agréerait ? Ni un sportif ? Ni un journaliste ? Un ecclésiastique non plus ? Un militaire ? Vraiment aucun.

- Les sportifs ? D’incorrigibles amateurs ? Un journaliste ? A part de l’enfumage je ne vois guère ce qu’il apporterait à notre corporation. Un membre du clergé ? Il n’userait que de méthodes largement dépassées, et je crois que sa hiérarchie lui rappellerait illico les fondements de son culte. Un militaire ? Trop obéissant !

-Mais je me demande pourquoi cette fixation sur ma personne.     

-Ne vous demandez rien ! Dites oui ! Montez à la tribune et laissez parler votre cœur, vos tripes.

-Et bien soit ! J’accepte ! Mais tant pis pour vous ! J’espère que vous n’allez pas le regretter.

-Pensez-vous ! Vous êtes un gagnant ! Je vous le dis ! Vous serez notre champion. »

 

Second tableau :

Mesdames, mesdemoiselles, Messieurs ! Laissez-moi vous présenter notre nouveau et talentueux président, celui qui portera désormais très haut les valeurs de notre grande et immuable « Confrérie des menteurs ».

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