A la poule farcie

Publié le par Roger Pleers

A la poule farcie

 

 

Le cagnard incendiait les tôles de la voiture banalisée dans laquelle marinait la commissaire Justine Valloire. La quarantaine sportive mais point trop, distinguée et énergique, féminine quoique autoritaire, elle avait gravi les échelons de la hiérarchie policière sans complexe ni états d’âme, sans piston politique ni complaisance directoriale. On la disait secrète, on la savait mariée. Point ! La commissaire ne livrait rien d’elle à ses collègues sinon sa volonté d’un jour être la patronne du département. En attendant un décès opportun ou une destitution inattendue de l’actuel détenteur du pouvoir, elle s’envoyait des cafés serrés chez Gégé le bistrot des flics, et au commissariat, des affaires souvent à des années-lumière du casse du siècle.

Là, elle avait comme des envies de mutation à Belle-île pour traquer les trafiquants de coquilles Saint Jacques ou à Terre Neuve pour contrôler les mailles des filets dérivants.

-C’était bien la peine de me taper les concours d’administration pour me retrouver devant l’hôtel de La Poule Farcie à me faire revenir la rate au court bouillon en attendant de pratiquer un constat d’adultère ! Tout ça parce que le Député-Maire Laroque est plus assidu sur les bancs de l’opposition à l’Assemblée nationale que dans le lit conjugal à remplir d’autres devoirs que patriotiques. Sacrée mission de confiance ! Y a pas à dire.

La commissaire Valloire ruminait sa mauvaise humeur, lorsqu’un couple improbable poussa la porte défraîchie de « La Poule Farcie ». Justine lui mettait vingt-cinq ans, tout en muscles et tendons sous un « Marcel » douteux. La brosse arrogante et le sourcil goguenard, il enroulait sa démarche comme un coq de basse-cour. Le torse taillé aux levers d’haltères, on l’imaginait bien bras crispés sur des barres en short en lycra devant un miroir. L’odeur en moins, c’était la caricature des anciens lutteurs de foire.

Que pouvait-elle lui trouver la gentille petite bourgeoise en tailleur Chanel et talons hauts.

-ça c’est sûr qu’à côté de ton parlementaire de mari, y a pas photo, pensait Justine.

Madame Laroque, puisque la photo du dossier de la commissaire correspondait à l’original qui entrait à « La Poule Farcie », couvait d’un œil de velours son gigolo haltéro-formé en se serrant déjà voluptueusement au creux de son biceps droit.

-Je leur laisse une petite demi-heure pour engager l’action, se dit Justine, avant de procéder aux constatations du flagrant délit.

Dans la berline, la canicule commençait à lui faire regretter d’avoir fait le choix de la manche longue et du pantalon d’uniforme plutôt que  tenue d’été plus légère mais aussi moins pratique pour courser les délinquants.

-En même temps, je vois mal le Julot se tirer dans l’état où je vais le surprendre.

Lasse de s’éponger à coup de kleenex, la commissaire se décida à entamer la suite des opérations. Poussant à son tour la porte de « La Poule Farcie », Justine Valloire se dirigea illico vers le comptoir de la réception derrière lequel un longiligne marlou au poitrail avantageux mastiquait son ennui. Abrité derrière les verres teintés de ses lunettes, il détaillait en connaisseur un bel exemplaire  de femme-flic qui lui tendait son insigne, prête à en découdre.

-Police, lui lança-t-elle

-ça alors ! J’aurais jamais deviné, ricana Sarko entre ses dents, en crachant des écorces de tournesol sur les pieds de la policière.

Justine lui fourra sa carte sous le nez en passant derrière le comptoir

-Je suis sûr que vous avez un registre et qu’il est à jour ?

Le Sarko, qui avait fait les colonies où il était préposé à la gégène, il en fallait plus pour l’impressionner.

-Bien sûr, inspecteur…

-COMMISSAIRE ! aboya Justine

-…commissaire, repris Sarko. Toujours en ordre le registre, sinon je ferais comment pour conserver ma licence ? Et puis comme ça, je garde la trace des gens à qui j’ai rendu service.

-Service ? Louer des chambres de passe à des couples illégitimes ? Vous appelez cela rendre service, s’étrangla Justine ?

Le tenancier se logea une graine de tournesol entre deux incisives

-Tu cherches qui, commissaire ?... Quelqu’un en particulier ?... Un homme ? ajouta-t-il en faisant un pas vers Justine.

-STOP ! On bouge plus et on sort les mains des poches. Je veux le registre ! Là ! Maintenant !

Sarko poussa vers la policière un cahier écorné et graisseux. Il ne fallut guère de temps à Justine pour y retrouver le nom qu’elle cherchait : Laroque Viviane, chambre vingt et un.

-Allez on bouge lança-t-elle à Sarko en le poussant vers les étages. Tu prends ton passe et pas d’entourloupe !

Dans la cage d’escalier poussiéreuse et surchauffée, la commissaire se demandait si toute cette histoire allait favoriser sa promotion ou si, au contraire, découvrir que le Député Laroque était cocu avec un étalon de foire n’allait pas lui couper la voie vers la direction.

Le propriétaire de la « Poule Farcie » abandonna la commissaire devant la porte de la chambre vingt et un sous les combles en disant :

-Je suis dans ma loge ! Passez donc me voir en partant. Vous verrez c’est douillet. Et puis il y a la clim.

Justine préféra ne pas relever. Elle le dézingua mentalement, joua du passe  et poussa la porte. Sans surprise, pour elle du moins, elle y découvrit Viviane Bourrin, épouse Laroque, s’activant sur un gaillard rubicond étalé en travers d’un lit qui avait connu d’autres couples aléatoires et des jours meilleurs.

-Salut ! C’est pour une enquête, annonça la commissaire en lorgnant vers l’objet du délit.

Cessant ses activités frénétiques sous le coup de l’émotion sans doute, l’épouse volage du Député-Maire se réfugia derrière son haltérophile qui avait tendance à se dégonfler.

-Bien, soupira Justine, vous le beau musclé vous enfilez votre pantalon et vous allez m’attendre au rez-de-chaussée. Songez même pas à vous enfuir où je lance un avis de recherche pour attentat à la pudeur sur un officier des forces de l’ordre dans l’exercice de sa fonction. Quant à vous, Madame Laroque, j’ai le regret de vous faire savoir que, l’adultère tombant sous le coup de l’article cinquante-huit du code pénal, je me vois dans l’obligation de vous emmener au poste et de vous placer en cellule.

-Décidément, soupira Viviane Bourrin épouse Laroque, des cellules communistes dont mon député de mari me rebat les oreilles à celles du commissariat, j’en aurai fait le tour !

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